La Lucarne
(http://www.lalucarne.org)
UN COEUR SAUVAGE
une pièce de Christophe Botti
Au début, il y a l’affiche, placardée un peu partout
à Paris. Trois regards nous épient, observent le spectateur potentiel.
Deux jeunes hommes, une jeune fille : trois possibilités ? Ensuite,
il y a un lieu, particulier, puisqu’il s’agit d’une boîte de nuit
dans le troisième arrondissement de Paris. Le cadre, déroutant et
déconcertant, oblige aussi le spectateur à s’adapter à une autre
manière d’envisager le théâtre, et les pièces. Enfin, il y a la
pièce : « Cœur sauvage », celui de Mathan, que les spectateurs fidèles
de Christophe Botti et de la Compagnie des Hommes Papillons ont
déjà vu dans « Un cœur de père ». Une sensation, une découverte : le personnage central, au cours d’un été de fin d’adolescence,
ressent qu’il est différent, qu’il n’est pas vraiment attiré par
sa copine Virginie (avec laquelle pourtant il a des liens très forts)
mais plutôt par le nouveau pote de celle-ci, François, sportif,
beau et troublant. Et Mathan s’entiche, il s’éprend, il est troublé
par ce beau jeune homme. Lui qui a pourtant décidé de ne jamais
aimer, parce que ça fait trop souffrir, il tombe fou amoureux de
François – ce qui n’aura pas pourtant les effets escomptés, et mènera
Mathan à la tentative de suicide… et les trois amis à réfléchir,
avec leurs mots et leurs attitudes d’adolescents, à la question
de l’identité sexuelle, à la difficulté de se découvrir homo, de
l’annoncer aux autres, de le faire accepter, même à une époque où
la société se veut tolérante. Le tout appuyé par des jeux d’images,
des batteme nts de cœur, revenant régulièrement entre les scènes,
à des rythmes différents ; des musiques, sans paroles la plupart
du temps ; mais avec, le temps de deux chansons, l’une interprétée
par le rôle principal, au milieu de la pièce, et l’autre à la fin,
par les trois protagonistes. Une pièce qui parle au cœur, touchant
par là aussi l’esprit des spectateurs.
L’œil de La Lucarne
La pièce veut parler au cœur, et tout ce qu’elle contient parle
au cœur, au cœur de tous ceux et toutes celles qui assisteront à
cette pièce de Christophe Botti. Les acteurs sont formidables de
vivacité, de vie, de fougue et de spontanéité. Ils incarnent à merveille,
parce qu’ils ont leur jeunesse et un certain talent, des adolescents
en proie au doute, à l’incertitude, au désarroi. Ils bougent, crient,
s’embrassent, ne miment ni ne feignent quoi que ce soit. D’entrée
de jeu on n’a aucune peine à entrer dans leur questionnement, et
à quasiment répéter en même temps qu’eux les mêmes phrases, les
mêmes angoisses. Un texte particulièrement bien léché, avec juste
ce qu’il faut de répliques lapidaires et fortes, de mots d’humour
très efficace, et de mots et d’expressions forts. La mise en scène
y est pour beaucoup aussi, les faisant se déplacer, sans cesse,
ajoutant encore à la densité des thèmes : l’adolescence n’est-elle
pas un constant louvoiement entre plusieurs états, entre plusieurs
idées, entre des pensées contradictoires, entre l’instabilité de
son corps et de son esprit, et la stabilité à laquelle tous nous
aspirons ? Nul temps mort, donc, des phrases qui sonnent juste,
des images qui illustrent magnifiquement ce qui passe par la tête
des ados. Les musiques, enfin, collent tout à fait bien au jeu des
acteurs, à leurs gestes, à leurs idées ; et, lorsqu’en plus de la
musique, on entend des voix chanter, ce sont celles des protagonistes
– des voix belles et interprétant adéquatement les paroles qui naturellement
parlent aussi au cœur. On peut seulement regretter un grand foisonnement
des sujets traités : à trop embrasser, on étreint mal, et la pièce
est terriblement dense, trop dense par moments, à force de coups
de théâtre parfois un peu forcés. Mais en tout état de cause, on
passe un très agréable moment, et on quitte la salle avec l’impression
d’être retourné sur le lieu de sa propre adolescence, qu’on soit
homo ou pas. Une histoire de cœurs qui parle au cœur : une alchimie
réussie.
David TONG
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