Ligne Azur
Entretien avec Christophe Botti / Ligne Azur
« Je voudrais que les gens comprennent qu’Un
cœur sauvage n’est pas une pièce que pour les gays »
Questions à Christophe Botti, auteur d’Un cœur
sauvage, pièce sur la découverte de l’homosexualité par Mathan,
un jeune garçon de 17 ans…
Ligne Azur : Quel est votre parcours ?
Christophe Botti (C. B.) : Il faut d’abord dire que Christophe
Botti est indissociablement lié à Stéphane Botti puisque nous sommes
jumeaux et qu’on travaille ensemble. Mon parcours, c’est le théâtre
depuis une dizaine d’années, une maîtrise de théâtre puis la création
de la Compagnie des Hommes Papillons avec mon frère. Depuis on a
monté une douzaine de mes textes et j’écris parallèlement pour le
cinéma et la télévision.
Ligne Azur : Comment est né Un cœur sauvage ?
C. B. : J’ai monté il y a deux ans Un cœur de père,
une pièce sur l’homoparentalité qui mettait en scène un couple de
trentenaires dont Mathan était l’un des deux personnages. Alors
que je jouais cette pièce, j’ai eu l’idée d’écrire un autre spectacle
où Mathan raconterait sa jeunesse. Il y a un an, Édouard Collin,
un jeune comédien que je ne connaissais pas, m’a envoyé un mail
pour me dire qu’il avait été touché par la façon dont je décrivais
les personnages dans Un cœur de père et qu’il aimerait monter
la pièce. J’ai donc rencontré Édouard et je lui ai dit que s’il
avait envie de jouer Mathan c’était possible mais que ce ne serait
pas Mathan d’Un cœur de père mais Mathan d’Un cœur sauvage.
Ce serait ses 17 / 18 ans, la découverte de son homosexualité et
de son premier amour. Je me suis lancé dans l’écriture d’une pièce
à trois personnages. Je trouvais intéressant d’avoir François, très
ambigu, qui a beaucoup de mal à dire qu’il aime les hommes. Je trouvais
intéressant qu’il y ait aussi une fille pour pouvoir la confronter
à cette homosexualité susceptible d’amener des petites percées homophobes,
des petites choses dures à entendre. Je voulais montrer ce que c’est
qu’être ado et de devoir à un moment se confronter aux autres.
Ligne Azur : Pour Édouard Collin, il n’y a pas
eu de problème de casting. Mais pour les deux autres, Violaine Brebion
et Julien Alluguette, comment cela s’est-il passé ?
C. B. : Je ne les connaissais pas du tout. J’ai fait un casting
en passant des annonces dans toutes les écoles de théâtre, sur des
sites Internet… On a reçu 250 ou 300 candidatures. J’ai fait une
première sélection sur CV et on a auditionné une bonne trentaine
de filles et de garçons. Nous avons retenu Julien et Violaine car
ils amenaient à la fois la sensibilité dont on avait envie et en
même temps la fraîcheur. En fait, je n’ai eu de problème qu’avec
certains comédiens que j’avais moi-même contactés. Ils ne voulaient
pas jouer dans la pièce parce que ça parlait d’homosexualité. Ils
avaient peur à 18 / 19 ans de jouer des rôles comme ça. Mais globalement
les gens étaient partants, ils avaient envie de défendre des choses
fortes.
Ligne Azur : C’est une pièce franchement militante…
C. B. : De mon point de vue d’auteur, c’est politique et
militant. Avec les comédiens, on en a beaucoup discuté. Je ne sais
pas s’ils sont homos ou pas, je ne leur ai pas demandé au moment
des essais, ce n’est pas du tout mon problème. Ce qui comptait pour
moi, c’était qu’ils comprennent bien ce qu’on allait défendre, ce
qu’il faudrait dire au moment où on donnerait des interviewes. Ca
ils l’avaient bien compris. Ils étaient d’accord avec mon point
de vue. À partir de là c’était bon.
Ligne Azur : Un cœur sauvage parle des brimades,
de l’homophobie, du suicide…
C. B. : Quand j’ai commencé à travailler sur cette pièce, je
ne parlais pas du suicide mais du mal-être, de la difficulté à devenir
adulte. C’est en préparant la pièce que ce thème est venu. J’ai
lu un article qui parlait du suicide des jeunes homos puis des livres
qu’Hervé Latapie, qui nous accueille au Tango, m’avait achetés.
À partir de là, ça a été très vite. Je me suis mis à écrire presque
instinctivement parce que ces choses-là je les avais en moi, parce
que j’avais parlé à beaucoup de gens, je savais ce que j’avais envie
de dire. L’écriture en elle-même a été rapide. Après, pendant les
répétitions, j’ai modifié ou réécrit d’autres scènes.
Ligne Azur : Les médias généralistes ont-ils
parlé de la pièce ?
C. B. : Pour l’instant, on a eu surtout les médias gays. J’en
suis déjà bien content car il y a deux ans, pour Un cœur de père
consacré à l’homoparentalité, les médias gays ne sont pas beaucoup
venus. Je me souviens avoir démarché un sponsor, très gentil, mais
qui m’a dit : « Vous savez, une pièce qui parle d’homosexualité…
Nous on trouve des financements pour des sites de cul. ». Je
suis resté assez pantois sur le manque d’engagement du milieu. Cette
année, j’ai eu quelqu’un qui s’est directement engagé puisque avec
Hervé et Le Tango, c’est un engagement total. Ils ont soutenu
le projet dés le départ à cent pour cent. Maintenant pour les médias
« tout public » ça va être plus difficile. J’espère qu’avec l’article
que nous avons eu dernièrement dans Zurban, ça va enchaîner sur
autre chose.
Ligne Azur : Vous voulez toucher le public le
plus large…
C. B. : Je voudrais que les gens comprennent qu’Un cœur
sauvage n’est pas une pièce que pour les gays. Il est évident
qu’un gay viendra voir cette pièce, qu’il retrouvera des choses
de sa vie, ça le touchera. Pour un jeune homo, je pense que c’est
important qu’il voit ce spectacle. Mais pour moi, l’essentiel ce
sont les autres, je veux les faire venir. La semaine dernière, par
exemple, on a eu une classe de lycéens. C’était fabuleux ! Il y
avait tout un groupe de filles qui gloussaient, qui réagissaient
sur le fait de découvrir que deux garçons pouvaient avoir une attirance.
Elles réagissaient aussi sur leur propre sexualité de femme par
rapport à ça. C’était passionnant. A l’issue de la représentation,
on a discuté avec les jeunes : ils avaient parfaitement compris
le propos de la pièce. J’ai l’impression qu’il est plus facile de
faire évoluer les mentalités chez les jeunes, d’éviter les problèmes
d’homophobie à travers une œuvre de fiction. Parce que c’est matière
à discussion. On ne leur dit pas comment il faut réfléchir, comment
il faut agir. On leur montre la réalité des choses et on leur dit : « Voyez. Vous vous moquez de quelqu’un, vous lui faites du
mal mais voilà la conséquence derrière : cette personne peut penser
au suicide… ».
Ligne Azur : C’est un outil pédagogique formidable.
C. B. : Justement nous avons un projet magnifique avec un
grand théâtre parisien. On nous propose de jouer l’année prochaine
en matinée scolaire parce qu’ils ont des accords avec des lycées.
Ce sera parfait. C’est très courageux de leur part car je pense
qu’ils se heurteront à certaines difficultés au moment de la programmation.
Certains profs ne voudront peut-être pas emmener leurs élèves voir
la pièce. C’est pourtant bien à l’école que ça se joue. C’est là
qu’il faut intervenir pour faire évoluer les mentalités. Si on fait
comprendre à un jeune de 14 / 15 ans ce que c’est que d’être homosexuel,
que ce n’est pas grave, que c’est seulement la sexualité qui est
différente, si une personne à 15 ans comprend qu’il n’y a pas à
insulter les autres, en tant qu’adulte, il ne les insultera plus.
Pourquoi, dans les manuels scolaires, on ne dit toujours pas que
Verlaine et Rimbaud étaient ensemble ? On dit que c’étaient des
grands amis. Or je pense que ça aiderait une jeune de 14 / 15 ans,
se découvrant homo, de se dire : « Rimbaud et Verlaine, ils étaient
ensemble ! Mais c’est génial ! C’est des génies ces gens-là ! ».
Ligne Azur : Avez-vous vécu tout ce que vous
racontez ?
C. B. : J’habitais en banlieue parisienne et ce n’était pas
toujours facile d’être différent. Je faisais de la danse, j’étais
bon élève et je ne jouais pas au foot comme le personnage de la
pièce. Je me souviens de remarques, d’insultes, de « sale pédé »
qui ne m’ont pas plus traumatisé que ça parce que j’étais assez
bien équilibré. J’avais une famille où ça se passait bien, et des
amis. Aujourd’hui, je pense que ce n’est toujours pas facile de
se découvrir homosexuel. Je pense malgré tout que c’est plus facile
de le vivre après, une fois qu’on a passé le cap après l’avoir dit.
On est dans une société qui a tout de même un peu évolué. Mais c’est
le moment de la révélation, le moment de le dire qui est super douloureux
parce que c’est le mystère, c’est la peur de la réaction des autres
et parfois il y a des réactions désagréables.
Ligne Azur : L’homosexualité, lutter contre
l’homophobie, c’est l’axe central de votre travail ou est-ce un
moment dans votre vie d’auteur ?
C. B. : Ce n’est pas un moment dans ma vie, ce seront des
moments dans ma vie. Lors de la rentrée d’Un cœur sauvage,
j’avais une autre pièce qui se jouait : Frères du bled. C’est
sur la guerre d’Algérie. Ca ne parle pas du tout d’homosexualité.
J’en parle quand j’ai des choses à dire. Il y a deux ans, je voulais
parler d’homoparentalité parce que ça me semblait très important
d’en parler. Cette année, je parle du suicide des jeunes homos parce
que c’est très important d’en parler. Pour l’instant, je n’ai rien
de particulier à dire sur le sujet alors je n’écris rien. Ma prochaine
pièce parlera de télé-réalité, on sera donc ailleurs. Mais j’ai
un projet de téléfilm sur le sujet.
Entretien réalisé par Alain Miguet pour Ligne Azur
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