- L'accordéon a pris ses quartiers au Tango, à Paris -

Danser à deux, discuter nombreux,
c'est le pari gagné d'un fan des bals populaires.

La Boîte à Frissons
Musette et Causette

L'accordéon se tait pour laisser place à la lecture de texte du Che. Des chansons révolutionnaires, l'Internationale dans plusieurs langues se fredonnent. La discussion s'engage, passionnée, vive. L'accordéon reprend sa place, les couples envahissent l'espace ...
Scénario peu banal d'une soirée dansante, intitulée " gueuloir " qui mérite explication.

Le Gueuloir est une suite logique de l'activité qu'Hervé Latapie, ancien professeur de sciences économiques dans un lycée de banlieue, déploie dans son quartier parisien et dans son entourage. Hervé aime l'accordéon, danser à deux et retrouver des amis pour discuter.
Un goût simple mais difficile à satisfaire, surtout quand on est homosexuel.
Il se bute régulièrement à l'ostracisme de ceux qui supportent mal la différence et ne trouve aucun lieu où danser avec un homme soit autorisé.
- "J'avais pris l'habitude d'aller danser au Balajo, ce temple du machisme populaire, mais je ne pouvait pas danser avec mes amis. L'idée m'est alors venue d'organiser des bals à l'attention des homosexuels mais ouverts à tout le monde et de remettre au goût du jour l'accordéon et la variété française". L'association "Les Gais Musette" vit le jour, restait à trouver le lieu. "Le Tango", cette ancienne salle de danse créée en 1907 était en mal de fréquentation. Sa directrice accepte d'accueillir ce projet. Dans le scepticisme général, le premier bal des " Gais musette " est organisé. C'est un gros succès qui incite Hervé Latapie à poursuivre son idée. En 1997, c'est une fois par mois que ses amis et d'autres pourront retrouver la joie de l'accordéon, de la danse à deux.
- "Aujourd'hui, la danse est devenue un plaisir solitaire. J'avais envie de retrouver la convivialité, mélanger les publics, effacer toute sorte de discrimination. Lancer les Gais Musette était pour moi un acte politique. C'est une façon de résister à l'uniformisation culturelle que nous connaissons."
L'affaire marche tellement bien, que des demandes diverses émergent : cours de danse, encore plus de soirées, diffusion de chansons.
- "Nous avons été amenés à enregistrer 'Chansons Interlopes' et produire un CD de 27 chansons de 1908 à 1936".

Interlopes

C'est ainsi que Ras l'front a souhaité organiser un bal. Ce n'était pourtant pas du goût de tout le monde dans notre association. Faire la fête contre le racisme et l'homophobie n'allait pas de soi. "Ras l'front organisa le bal.
"La valse des escrocs" (Loukoum et camembert) et d'autres chansons sur ce thème en firent un succès et Hervé Latapie se trouva entrainé dans une dynamique qui lui demanda un investissement énorme.
-  "Nous avons commencé à organiser des bals au profit d'autres organisations. Au moment où nous risquions d'être victimes de notre succès, (il y avait de plus en plus de monde), le Tango m'a proposé de reprendre en main l'animation de la salle. C'était une opportunité intéressante de changer de métier et de réaliser, dans un cadre professionnel, ma passion pour l'animation. La charge de travail au lycée et dans l'association ne me permettait pas de concilier les deux. J'ai alors décidé de quitter l'éducation nationale, non pas que je ne m'y plaise plus, mon travail était très intéressant et je ne souffrais pas de sectarisme. J'ai même participé à la création d'une association de professeurs homosexuels. Mais j'avais envie de changer ma vie. J'ai donc créé une structure commerciale :
'La Boîte à Frissons' nom que l'on donnait à l'accordéon dans les années 30.
Je souhaitais une structure autonome et organiser de temps en temps des événements et permettre ainsi à l'association 'Gais musette' de revenir à son projet initial."
La Boîte à Frissons reprend l'esprit des Gais Musette. Hervé Latapie organise des soirées ou après-midi lucratives (les soirées dansantes) qui permettent de financer des opérations qui le sont moins : des concerts de musique vivante et des gueuloirs. Car même au sein d'une structure commerciale, il ne perd pas de vue son objectif.
"La visibilité des homosexuels qui dansent ensembles, le mélange de la musique, de la danse et de la discussion dans les soirées 'gueuloir' me paraissent être des pas en avant.
Le but est de faire pivoter la clientèle de boîte sur le gueuloir. La salle est une sorte d'outil, un lieu dans lequel peuvent se faire des tas de choses. J'ai lancé tout en même temps depuis le mois de septembre.
La première soirée avec le débat sur le Che et la collaboration des éditions Syllepse qui ont sorti quelques ouvrages de référence sur le sujet, a été une grande réussite.
L'organisation du gueuloir prend énormément de temps. J'ai le souci de choisir des sujets a priori polémiques, qui interpellent.
L'idée du coup de gueule me plaît bien."
Sans déroger aux principes de départ, à savoir promouvoir la chanson française, chaque "gueuloir" est l'occasion de découverte.
Quand le thème de discussion a été "La drogue : comment sortir de l'hypocrisie", c'est avec des chansons de Fréhel, la Coco, ou d'Edith Piaf, "Mon apéro", où le sujet est abordé de façon plus directe, que le débat a été lancé.
Les prochains gueuloirs donneront l'occasion à ceux qui le souhaitent de discuter de Paris (changer pour sauver la vie de quartier), Paris est-il toujours Paris, de la question basque, de l'homophobie, de la musique vivante... toujours sur un air d'accordéon.

Jane Renoux

Futurs 05/02/98