Sommaire

 

5 - Echos et états d'âme en vrac...


L'anecdote du jour : La chenille

Un vendredi soir, un peu las et fatigué par une semaine bien remplie (et oui certains s'imaginent que je me repose toute la semaine, comme si les bals pouvaient exister par enchantement et sans préparation), je décidais de m'éclipser discrètement une heure avant la fermeture vers 4 h du mat. Dans ces cas là, j'essaye d'être discret. Je passe dire au revoir à Frédéric, une bise à Sandrine au vestiaire, un coup d'o eil aux barmans et me voilà dans le sas à l'entrée. Ce soir là j'ai traîné dans ce fameux sas, assez longtemps, au moins un quart d'heure. Quant tout à coup, qu'est ce que j'entends : la Chenille ou la danse des canards, je ne sais plus. L'effet de surprise passé, je me suis précipité dans la salle, prêt à étrangler Frédéric qui transgressait ainsi un interdit formel : pas de ça chez moi !

Il a fait semblant de ne pas être surpris de me voir encore là, a jeté un regard serein sur la piste où effectivement s'était formé une chenille joyeuse et bon enfant et m'a enfin lâché sous forme de défi : Toi tu passes bien "il me tape sur les nerfs" de Sophie Favier, alors...

Depuis le débat est lancé. Qu'est ce qui est beauf et qu'est ce qui ne l'est pas. Jusqu'où peut-on aller ? Le succès auprès du public peut-il tout justifier ?


Drag Queen Story (26 mai 1999)

Samedi soir, comme la semaine précédente, deux drag-queens, accompagnées d'un protecteur, sont venues nous rendre visite. Leur entrée fait toujours sensation. L'une d'elles en particulier était perchée sur des talons mesurant au moins trente centimètres. Ce petit groupe est directement allé s'installé près d'un miroir, mais peu importe.

J'avoue que je ne leur ai pas manifesté beaucoup d'attention (c'est plus fort que moi, je préfère les travs, les vrais) jusqu'au moment où la créature très haut perchée est venue me voir devant les platines pour m'infliger une moue désagréable et me déclarer d'un ton capricieux : "vous pourriez mettre quelque chose qui bouge, de la techno par exemple."

La salle venait justement de bouger durant au moins trente minutes sur du disco et du raï et nous étions en train de passer en guise de slow la nouvelle version des "Mots Bleus" par Amina, avant d'enchaîner avec le Aline d'origine de Christophe. Appréciez ce délice, certes un tantinet kitch, mais rudement étudié. Sur la piste, les couples s'enlaçaient tendrement.

Et c'était cette harmonie magique que cette drag queen voulait casser. Je me suis retenu pour ne pas la faire dégringoler de ses échasses et me suis contenté de lui répliquer qu'il était très grossier de venir réclamer de la techno dans la seule boîte gay de Paris qui justement n'en passe pas. Bref, que si elle s'était trompé d'adresse, je pouvais lui payer un taxi pour reprendre le chemin du Queen.

Quelques instants plus tard, c'est son gentil accompagnateur qui se pointe et m'engueule :
- Nous payons l'entrée, je prends une bouteille au bar et je vous amène des drag queens (il accentue fortement cette dernière information), et vous ne voulez pas leur faire plaisir ?
- Chéri, je suis désolé, mais de la techno, on n'en a pas, rien, pas un seul disque, faut vraiment aller ailleurs pour ça.
- T'aurais quand même pu être plus aimable avec elle.

Là il n'a pas tout à fait tort, mais quand je pense que je me suis retenu de ne pas lui faire un croche talon. Me rappelant alors que je suis un commerçant, je me décide à retourner voir l'oiseau en colère, je m'excuse, je lui explique que l'on fonctionne autrement, que les gens aiment bien cette différence, qu'il faut se mélanger, rester ouvert... C'est alors qu'elle me sort la réplique qui a mis un terme à ma patience : "T'es vraiment pas sympa de ne pas nous mettre de la techno, on viendra plus, et sans nous y'a plus d'ambiance, plus rien".
J'ai été assez poli pour continuer de lui parler encore quelques minutes.

Frédéric aux platines, a entamé une série Dance pour arrondir les angles (c'est un garçon vraiment adorable). Lorsqu'il mit les Space Girls, les jeunes du MAG sont montés sur la scène et ont commencé leur grand numéro de Mag Boys'Band. Tout le monde s'est arrêté de danser pour les regarder et les applaudir.

C'en était trop pour nos drags queens, écoeurées de l'indifférence générale dont elles faisaient l'objet, elles ont quitté la salle, définitivement décidées à ne plus y remettre leurs hauts talons.

Le lendemain je me suis tellement délecté de la tirade d'Agrado sur les Drag queens dans le dernier film d'Almodóvar "Tout sur ma mère", que j'ai décidé de lancer un appel : j'offrirai une bouteille de Champagne à celui ou celle qui pourra m'en donner une version écrite.
Je suis 100 % d'accord avec Agrado !


La rentrée (fin août 1999)

Vendredi dernier c'était la réouverture de La Boîte à Frissons. A vous voir tous, dès la porte d'entrée franchie, vous embrasser affectueusement les uns les autres, on aurait pu croire que vous reveniez d'un long voyage qui aurait duré une éternité, et non ces deux petites semaines de fermeture annuelle ! J'en étais carrément ému de réunir à nouveau cette sorte de famille indéfinissable qui faisait circuler les photos de vacances et comparait joyeusement le degré de bronzage de chacun, chacune.

Pour une fin de semaine d'août, vous étiez déjà assez nombreux (moi qui m'attendait à une reprise très calme). Et samedi nous avons cumulé les incidents techniques. L'aération ne fonctionnait qu'à moitié (elle a été réparée hier, ouf !) et en plein milieu de "Didi" de Khaled, coupure de la sono : gros silence. Partout ailleurs, j'imagine qu'un tel raté technique aurait provoqué des hurlements ou des ricanements. Mais décidément, nous sommes vraiment différents. Au court moment de surprise et de silence provoqué par la panne, a succédé un choeur joyeux : la salle a continué de chanter "Didi, Didi, Didi" et de danser, en se marrant, histoire d'encourager le DJ.

Une pensée pour Etienne (je change forcément les prénoms), un gai retraité qui vient de découvrir depuis peu La Boîte à Frissons. Son ami, avec qui il vivait depuis près de 20 ans est décédé il y a peu. Etienne n'avait plu mis les pieds dans une boîte depuis 15 ans. Après sa première visite un samedi soir, il m'a écrit une longue lettre, et il revient depuis régulièrement. Je l'observe danser, discuter. Il m'époustoufle parce qu'il arrive à l'ouverture, m'explique qu'il est fatigué, mais il fait aussi la fermeture à 5 h, heure à laquelle il paraît être en pleine forme ! Il commence à s'intégrer et avoir des copains et copines.

Je sais que vous êtes nombreux(ses), dans un genre différent d'Etienne, mais pas forcément fondamentalement différents, à avoir trouvé à La Boîte à Frissons un lieu alternatif, où il règne un je ne sais quoi de différent qui vous convient. On papote, on se raconte sa semaine, on retrouve les cavalier(e)s régulier(e)s, on vit des histoires amoureuses plus ou moins longues, on découvre des mondes inconnus (dimanche si vous étiez au thé-dansant trans-genres vous vous êtes retrouvés "minoritaires", c'était surprenant) et on apprend à se connaître et à s'apprécier, avec toutes nos différences.

Parfois je vous en veux, lorsque vous ne remarquez même pas que nous avons passé trois jours à nettoyer le plafond au dessus de la piste de danse et commencé à peindre les gaines de la climatisation. Je m'énerve lorsque avec Frédéric nous essayons de passer de nouvelles musiques et que la piste de danse se vide, ce qui nous oblige de repartir avec les tubes discos habituels. Je suis furieux de constater que le mélange ne fonctionne pas encore pour les thés-dansants du dimanche qui décidément ressemblent à des fêtes ethniques : les juifs tel jour, les transsexuelles tel autre, les danseurs chevronnés des Gais Musette le dimanche suivant, les jeunes le premier dimanche du mois, bientôt les maghrébins et les portugais, etc. Je m'étonne du peu d'attrait provoqué par certaines soirées spéciales (gueuloir, cabaret des frissons, concerts) qui pourtant me demandent beaucoup plus de travail que les classiques bals du week-end.

Mais rassurez-vous, Etienne et les autres, me donnent envie de poursuivre, de tâtonner et de vous écouter pour que La Boîte à Frissons demeure ce qu'elle est, une boîte à plaisirs multiples.


Un week-end délicieux (jeudi 30 septembre 1999)

Revenons en revanche sur le dernier week-end qui fut un délice (en tout cas, je l'ai ressenti ainsi).

Tout commença par un retour inattendu.
Lors du bal trans-genres, notre micro HF (dit sans fil) avait malencontreusement disparu. L'une de ces dames avait glissé l'objet (phallique il est vrai) dans son sac. Les responsables de l'association PASTT étaient très contrariées par ce vol qui ternissait leur réputation. C'est pourquoi elles ont décidé de faire fonctionner la "radio trottoir" (si j'ose m'exprimer ainsi) et de lancer une collecte pour rembourser le fameux micro. Et bien aujourd'hui on peut féliciter cette minorité active pour son efficacité : le micro a été déposé par une main inconnue et masculine au bar l'Attirail juste à côté du Tango.

Alors que j'étais en train d'enfiler ma robe argent et ma perruque blondasse pour entrer dans la peau de Danièle Giclette (soirée les années télé), j'ai reçu un coup de fil éloquent qui en dit long sur les moeurs télégéniques. L'attaché de presse d'une vedette des productions AB (vous voyez le genre) m'informait que j'avais la chance de recevoir ce soir X et qu'il me remerciait de l'inscrire, lui et ses quatre amis dans la liste des invités. J'ai aussitôt fait un peu l'imbécile et sans rire je lui ai demandé si ce monsieur était nécessiteux. Surprise et silence au bout du fil. J'en rajoute. Oui, ces personnes sont-elles Rmistes ? Non ? Ah désolé, dans ce cas je ne vois pas ce qui pourrait justifier la gratuité, nous accordons volontiers des réductions aux chômeurs. Au revoir Monsieur. J'ai raconté cette histoire à une amie journaliste qui m'a dit que j'étais le plus snob des patrons de boîte de nuit de Paris.

On peut dire en tout cas, que notre soirée s'est merveilleusement bien déroulée. Les seules personnalités connues étaient donc Danièle Giclette (cela vous a-t-il au moins surpris de me retrouver ainsi travesti ?) et Jean Pierre Faux-Cul (notre Jean Pierre Hané l'infatigable). DJ Frédéric a supporté son costume de Casimir toute la soirée, et beaucoup d'entre vous sont allé le remercier pour sa programmation musicale. Moi j'étais impressionné par votre culture télé : reprise des chansons par le public et réponses aux questions des jeux (merci à jean Pierre et à Yann pour leur préparation).

Samedi fut une folie pure. Ambiance très chaude et public bien varié, avec des bandes de copains-copines sympas et bien intégrées (je vous expliquerai un autre jour ce qu'est une bande non intégrée !).

Enfin, dimanche, je recevais (mais c'était un secret) Les Caramels Fous qui offraient à leurs fans (nommés "fous"), une soirée de fête (hélas pour vous privée). Et ces garçons sont des amours. Ils ont présenté un spectacle de numéros inédits : les soeurs Mamelles, le hammam, les Rabbi Jacquottes et quelques chansons interdites. Un vrai bonheur. J'espère qu'on aura d'autres occasions de les voir sur la piste du Tango.


Petits bonheurs de la semaine (mercredi 17 novembre 1999)

Changeons de ton par rapport à la semaine dernière, la chronique du jour sera consacrée aux petits bonheurs de la semaine.

Vendredi nous recevions l'orchestre Denécheau Jâse Musette. Le meneur du groupe, Daniel Denécheau était comblé et m'a avoué qu'il n'avait jamais animé un tel bal. C'est vrai, habituellement le public musette est plus âgé et moins décontracté. Les musiciens étaient donc aux anges, plongés dans une ambiance qui évoquait parfaitement pour eux l'idée qu'ils avaient des bals populaires d'antan. Amis danseurs, vous les avez impressionnés et j'avoue que les compliments de ces musiciens m'ont procuré un plaisir qui doit être semblable à celui ressenti par une mère recevant un bon bulletin scolaire de ses enfants ! Je ne devrai pas vous dire cela, déjà que certains d'entre vous me traitent affectueusement de "mère tenancière" (les méchants disent "maquerelle").

Toujours vendredi, j'eus la surprise de voir débarquer un vieux copain qui rentrait d'un séjour de six mois en Chine, il était accompagné d'un ami Pékinois. Sans rien dire je demandais à Frédérick de passer une reprise de Madonna en chinois et j'allais m'installer mine de rien à côté d'eux, histoire de voir leur réaction. Le camarade chinois me déconcerta en déclarant simplement : ah oui c'est une version cantonaise. Vous saisissez la nuance !
Le lendemain ils devaient aller à la soirée techno à l'Elysée Montmartre, je ne sais pas si là bas aussi, il aura eu droit à un clin d'oeil musical amical.

Samedi soir, j'étais, par l'entremise complice des fans de la Vartan, assis au quatrième rang de l'Olympia, pour enfin voir en vrai, leur star adorée. Les trois quarts du premier rang étaient occupés par des têtes familières de La Boîte à Frissons. C'était bien agréable de se retrouver en famille !

Plus tard, au Tango, c'est Frédérick (notre DJ lui aussi adoré), qui me procura un immense plaisir. Tout d'un coup il passe une version orientale kitsch à souhait de Darla Dirladada. Je suis de l'autre côté de la salle et aussitôt je croise le sourire de Frédérick, visiblement très content de m'étonner. C'est la version de Blond Blond que j'essaye de me procurer depuis plusieurs semaines. Un marchand de la rue des Rosiers me l'a promise mais me fait languir, sans que je comprenne pourquoi. Je vais donc féliciter Frédérick et il m'explique qu'il a trouvé près de chez lui un stock de vieux 45 tours de la même collection que ceux que je lui ai fait enregistrer dernièrement (Lili Boniche, Line Monty, René Pérez, etc.). Il m'a offert cette surprise.

Voyez, La Boîte à Frissons, vit de ces petits bonheurs, qui chaque semaine, s'ajoutent les uns aux autres.

 

Etats d'âme euphoriques de la semaine (décembre 1999)

Ce matin au courrier, une carte de vo eux et un petit mot adorable : "Merci pour tout le plaisir que tu donnes, sans compter, chaque week end. Merci d'être là." J'en suis toute chamboulée (comme disait Hortensia de Chez Michou après l'explosion d'un immeuble dans son quartier). D'autant plus que j'ai envie de vous retourner le compliment. Le week end dernier, grâce à vous, j'ai passé deux soirées sur un nuage de bonheur.

Vendredi, les perspectives du voyage en orient ont attiré beaucoup de monde, notamment une bande des amis d'Amal l'association gay franco-Maghrébinne. Lorenzo est arrivé superbe, les yeux fardés de khôl. Il nous a enseigné comment remuer le ventre avec élégance (personnellment après cinq secondes d'essai j'avais un point de côté). Sa démonstration vers 1 heure a provoqué une explosion d'applaudissements et introduit pas mal de fantasmes dans bien des esprits. Plus tard les gars d'Amal ont dansé en cercle sur le Baroud, version Orchestre National de Barbès : chacun son tour va danser au milieu du cercle en cherchant à attirer un cavalier et surtout le regard des autres. Cela a un côté danse du tapis, en beaucoup plus démonstratif ! Mais le clou de la soirée a été sans doute plus discret et anodin. Deux petits beurs au look "mauvais garçons des banlieue pas du tout PD, ni folles" (jogging, tennis, casquette américaine) se tenaient par le cou en se faisant des petits bisous tendres, et cela pratiquement durant toute la soirée. Je me suis dis que si Chevènement était intelligent, il pourrait organiser partout en France des bals pour de tels sauvageons, et je suis prêt à répondre à son appel d'offre. Faites l'amour, pas la guerre !

Samedi j'ai inauguré un nouveau système pour gérer la queue à l'extérieur à l'heure de pointe : je sors, l'air navré, pour annoncer que nous sommes complets, qu'il faut soit revenir la semaine prochaine plus tôt, soit attendre au moins 30 à 40 minutes que des gens sortent, et c'est alors que je tend ma boîte de dragées (oui il m'en restait du réveillon !). Vous auriez vu tous ces visages, d'abord contrariés, tout à coup éberlués et finalement me souriant gentiment. Cela m'a poussé à continuer la plaisanterie : j'exigeais que les hétéros s'embrassent sur la bouche, ou acceptent de se faire tripoter, j'incitais les garçons à me draguer, etc. Au bout d'un moment j'ai arrêté mon numéro, la queue au lieu de diminuer devenait interminable et ils allaient finir par préférer rester dehors avec moi plutôt que d'entrer ! (j'exagère, mais c'est rudement agréable de divaguer)
Le dernier disque de la soirée fut la version tchèque de "Qui saura ?".Très chic, n'est-ce pas ?


Chronique où il est question de confidences et de rencontres
(mai 2000)

Depuis longtemps j'hésite à vous parler de vos confidences, celles que j'entends tout au long de la nuit en vaquant d'une table à l'autre ou en arpentant dans tous les sens la salle. Mais en romançant quelque peu les histoires entendues, en brouillant d'éventuels repères, je me risque à vous faire partager l'un des charmes de La Boîte à Frissons : son ambiance propice à l'épanchement.

Les histoires d'amour, bien évidemment, occupent une bonne part de nos échanges, et tous ceux qui s'amusent à me traiter de "taulière" caricaturent gentiment une réalité dans laquelle j'avoue me sentir très à l'aise (d'où la nouvelle soirée trimestrielle du bal des célibataires au cours de laquelle je deviens "Madame Hervé" !).

Ainsi je connais parmi vous les éternels célibataires, toujours en quête mais jamais casés, ils s'en plaignent et j'essaie de leur donner quelques conseils afin qu'ils deviennent moins exigeants, plus à l'écoute, moins maniaques. Je les vois papillonner, s'enthousiasmer en un instant pour déchanter la semaine suivante. Il était trop comme ceci, trop comme cela, et puis il habite de l'autre côté de Paris, il fume trop, n'est pas assez intello, trop sportif. Je deviens parfois capable d'anticiper sur leurs prochaines conquêtes et déconvenues. Ils m'en parlent avec facilité et à chaque fois je suis tour à tour tout aussi enthousiaste qu'eux, puis sincèrement déçu.

Les mariés adultères sont adorables (j'ai un petit faible pour eux), fréquenter La Boîte à Frissons est leur meilleur alibi, une boîte respectable (la taulière rougit de plaisir d'entendre un tel compliment), pensez, on peut y emmener sa maman. Traduisez : on peut y draguer sans en avoir l'air. Et croyez moi, ils sont nombreux dans ce cas, et je dois être vigilant pour ne pas commettre de gaffes : "Hervé surtout pas d'allusion sur un mail, mon mari les lit". Ceux là quand je les vois draguer je me permets d'y mettre mon grain de sel, de prévenir s'il le faut ("attention, lui il cherche un vrai mari, pas un coup, alors fais attention) ou au contraire d'encourager ("il sort d'une sale histoire, il a besoin d'oublier, vas y cela lui fera du bien !").

Dans ce contexte, la conversation qui revient sans arrêt et ne nous lasse jamais, concerne la fidélité. A partir du moment où l'on n'est pas fidèle, faut-il ou non le dire, à qui, etc. Je songe à écrire prochainement un manuel de l'infidélité en y résumant toutes les variantes de vos déclarations (d'intentions ?) à ce sujet : jamais quand il est sur Paris, jamais dans le lit conjugal en son absence, toujours furtivement dans un sauna ou une backroom, uniquement une fois par trimestre, je lui dis toujours, ou au contraire nul ne doit savoir ce que fait l'autre, etc.

Je ne vous dirai rien sur certains détails techniques ou anatomiques qui me sont parfois confiés une fois la chose conclue et consommée. Je suis simplement surpris des clichés qui circulent, comme si la taille de l'engin ou l'irréversibilité des pratiques pouvaient a priori déterminer la qualité de l'acte physique et l'intensité du plaisir. Vous avez parfois des idées bien arrêtées sur la question, qui selon moi, limitent le territoire de vos expériences sexuelles.

Il y a aussi les couples qui se sont formés ici et qui continuent de fréquenter le bal (car certains disparaissent dès qu'ils sont mariés, les ingrats, et réapparaissent à nouveau une fois divorcés, bien fait pour eux !). Ceux là, je les couve et me délecte du récit des circonstances et des détails de leur rencontre. Je m'enquiers de l'évolution de leur relation et m'inquiète au moindre signe de tension, jouant le cas échéant le conseiller conjugal.

Voilà. Les histoires d'amour ont emporté ma chronique au détriment des autres histoires qui se racontent à La Boîte à Frissons : celles du travail, des amitiés, de la maladie, des parents odieux, de la vie de tous les jours. Mais ce sera l'objet de prochaines chroniques.


Une belle histoire (vendredi 7 juillet 2000)

La semaine vient de s'écouler et vous allez penser, à tort, que je vous délaisse. Mes chroniques se font rares. La raison est simple, je vous épargne mes galères, toutes les difficultés rencontrées parfois au cours de la semaine pour préparer les soirées, qui m'empêchent de trouver le temps de vous écrire.

Ce soir j'ai pourtant envie de vous raconter une belle histoire.

Elle commence au Tango, le jeudi 7 juillet 1995. C'etait la Fête Nat des Gais Musette, la première fête organisée entièrement par l'association qui venait de se constituer (les deux précédents bals musette gays avaient été organisés, à notre initiative, mais sous l'égide du CGL et de la LGP).

Ce soir là je m'affairais dans la salle, virevoltant, heureux de la réussite de la fête. En même temps j'avais un peu de vague à l'âme, désespérant de ne jamais trouver l'âme sœur. J'avais créé Les Gais Musette pour offrir une ambiance plus conviviale, plus propice aux rencontres sympas et sortir du circuit classique des bars, saunas et autres backrooms. Mais jusqu'à présent, après chaque bal, je me retrouvais seul et déprimé (on donne beaucoup pendant ces nuits, et sans en avoir l'air, c'est crevant ! La solitude au petit matin a un goût amer.)

J'ai croisé son regard au cours d'une distribution de quartiers d'oranges. Je lui ai tendu le plateau en lui lançant un sourire maladroit : mon procédé de drague manquait de finesse. Il m'a rejoint un peu plus tard au bar pour me dire "c'est génial ces fêtes, c'est la première fois que tu viens" ? Mon cœur battait de plus en plus vite et je ne trouvais rien de mieux que de me vanter d'en être l'un des organisateurs. Et j'ai oublié tout le reste, les oranges, le DJ, la piste. Je venais enfin de Le rencontrer.

L'ami Eric, un des fondateurs de l'association, qui l'air de rien veillait sur moi, m'a aussitôt glissé à l'oreille : celui là c'est le bon, crois moi, tu restes avec lui et nous on s'occupe de tout, OK ? (je reste éternellement reconnaissant à Eric pour sa manœuvre amicale et très clairvoyante)

Comme par enchantement, Lulu La Caille (le DJ de l'époque) lança une série de slows. Le garçon aux cheveux longs n'hésita pas un instant, il me prit la main et m'entraîna sur la piste.

Ce soir là je ne suis pas reparti seul, c'était le 7 juillet 1995. Il s'appelle Stéphane et nous vivons depuis une complicité amoureuse merveilleuse.

Je vous souhaite à toutes et tous de vivre aussi une si belle histoire. Et vous comprendrez pourquoi j'ai le sourire aux lèvres à chaque fois que je vous distribue des quartiers d'orange.

On se retrouve vendredi soir avec Charlène Duval en Spectacle vers une heure et samedi pour un bal joyeux.

PS : Surtout, ne dites pas à Stéphane que je vous ai raconté cette histoire, il n'apprécierait pas du tout.


Chronique du troisième anniversaire (début septembre 2000)

Entre nous, La Boîte à Frissons est un lieu unique, qui aurait dû, dès son ouverture intéresser la presse de la nuit, au moins la presse gay.

C'est pourquoi, il y a trois ans, j'avais confectionné un joli dossier de presse, annonçant fièrement le lancement de nouvelles soirées dont le but était de "mélanger les genres et les publics". J'en ai envoyé plus d'une cinquantaine à tous les journalistes responsables des rubriques nightclubbing, ainsi qu'à la presse gay.

A l'époque, nous accueillions au bal une bonne cinquantaine de personnes, et vivions la grande angoisse : le pari n'était pas gagné, d'autant que je n'avais pas les moyens d'acheter des encarts publicitaires (qui automatiquement éveillent l'intérêt de la dite presse de la nuit). Naïvement, j'étais persuadé que les journalistes allaient être à l'affût de la nouveauté et que leur professionnalisme les amènerait très rapidement au Tango.

En fait, en septembre 1997, je ne reçu qu'un seul et unique appel. La rédactrice en chef d'un magazine m'appela, me posa quelques questions et envoya le vendredi suivant une journaliste qui passa deux bonnes heures au bal. Elle en rendit compte la semaine suivante dans une courte chronique notant l'originalité de ces soirées. Ce journal était "Time Out", le mensuel anglo saxon des loisirs parisiens !

Aujourd'hui il est clair que je devrais remercier tous ceux qui ne sont pas venus et n'ont donc jamais parlé de La Boîte à Frissons (Il m'arrive de le faire, lorsque bloqués dans la file d'attente, ils sortent leur carte de presse pour passer devant tout le monde, et face à ma mauvaise volonté, me menacent de "faire un papier pour me descendre"). La Boîte à Frissons ne pouvait pas intéresser la presse de la nuit, gay ou pas gay, puisque justement, elle fonctionne à sa marge : son ambiance repose en partie sur le rejet des coutumes du monde de la grande nuit parisienne.

Et samedi dernier je fus bien embarrassé lorsqu'une journaliste du journal Le Parisien me contacta parce qu'elle voulait faire un article sur La Boîte à Frissons. "Vous êtes un des seuls lieux vraiment mélangé, non ?". Confus j'ai expliqué que moins on parlait de La Boîte à Frissons, mieux elle se porterait, et j'ai convaincu la journaliste de renoncer à son article.

Vous pouvez être flatté, public chéri, qu'à l'occasion de ce troisième anniversaire, un grand quotidien populaire (au bon sens du terme) s'intéresse à vous. Et j'espère que vous me pardonnerez de lui avoir imposé le silence.

 


 

Chronique : Gueule de bois post-anniversaire
(Septembre 2001)

Il fut un temps où j'avais le temps de vous raconter régulièrement ce qui se passait à La Boîte à Frissons. J'avoue que depuis le lancement du bar La Petite Vertu, et vous l'avez constaté, j'ai été moins inspiré. Mais parmi les bonnes résolution de cette rentrée figure l'envie de retrouver le temps de vous écrire.

L'autre soir, lors de la soirée d'anniversaire, certains ont perçu que je manifestais une certaine retenue, voire un brin de déprime. Je répondais à vos inquiétudes par une évocation coquette de mon horreur des fêtes d'anniversaire. En fait, vous étiez beaucoup plus nombreux et enthousiastes que prévu, vous m'avez assailli de compliments, d'encouragements. C'est vrai que j'aurais pu en être flatté et que j'aurais du prendre le micro pour vous remercier. Au lieu de cela, je me suis lâchement dissimulé dans un coin de salle en vous observant.

Et je pensais déjà aux mois à venir, aux projets qui se bousculent sans arrêt dans ma tête, à la mise au point du site Internet, à la pile de nouveaux disques à écouter avec Frédérick, aux prochaines soirées spéciales (serez-vous assez inspirés pour jouer le jeu au bal littéraire ?), aux animations à mettre en place à La Petite Vertu pour vous y attirer plus nombreux et rendre le lieu aussi convivial que possible. Je pensais à toute l'équipe qui m'entoure et qui doit parfois supporter mes humeurs et mes exigences. Bref, ce soir de commémoration, j'étais incapable de m'abandonner au plaisir de goûter votre bonheur et votre plaisir d'être là tous ensemble. Le temps d'une soirée, je me suis laissé impressionné par l'ampleur de vos attentes et la nécessité de ne pas vous décevoir.

Le lendemain mon rhume avait pris de l'ampleur, à croire que je somatisais. J'ai compris que vous m'aviez imposé une over dose de compliments et que finalement j'y étais un peu allergique. Drôle de gueule de bois ! Je suis parti chez le médecin me faire prescrire de quoi calmer cette mauvaise crève, et je me suis remis au travail.

Entre nous, continuez à prendre du plaisir à venir danser, discuter, vous rencontrer. Draguez, souriez, chantez, buvez (modérément), soumettez-nous vos idées et oublions les anniversaires, les fêtes de Pacs, les enterrements de vie de jeune fille (j'en aurai à vous raconter à ce propos) et autres commémorations. Adoptons le parti pris de la fête permanente, subversive, improvisée et spontanée.

PS : Ma coquetterie a ses limites : vos encouragements restent une incontestable source d'énergie !


à suivre...