Sommaire

 

1 - Le mélange des genres (Les publics)


Omar et ses potes

A La Boîte à Frissons, Les moments de grâce se poursuivent sans se ressembler. Vendredi soir, le public était bien mélangé. Les amoureux des danses à deux étaient nombreux en début de soirée pour le cours de tango, mais nous avons eu ensuite la visite de nombreux petits nouveaux. Parmi eux deux adorables garçons, au look soigné, et du reste fort réussi : genre débardeur blanc moulé, tatouage discret sur l'épaule et pantalon lâche mais seyant, des détails qui nous font tourner de l'oeil toute la soirée. Je les ai repérés dès l'entrée, car je papotais avec Virginie à la caisse. J'avoue que j'ai aussitôt eu quelques appréhensions, craignant de leur part une réaction hostile dans le genre des drag queens de l'autre jour. Mais il n'en a rien été. Ils se sont précipités sur la piste de danse, certes, ils ont été surpris lors du passage des valses, mais absolument pas effarouchés : mieux ils ont continué de me sourire toute la soirée (imaginez dans quel état j'étais !).

Ont alors débarqué Omar et ses potes, des piliers de bar de mon quartier. Ils ont franchi l'épreuve de la porte avec un peu de difficulté (c'est vrai que leur "look" ne fait pas dans le genre petit débardeur blanc, mais plutôt belles moustaches et gros muscles parfaitement hétéros). A l'époque, je rencontrais Omar au comptoir du bar Le Valmy sur la Canal Saint-Martin, il n'arrêtait pas de faire des plaisanteries graveleuses sur les PD. Un jour cela me fatigua, je lui fis savoir, que j'étais PD et que je commençais à en avoir assez. Il s'excusa : "Hervé excuse moi, je ne savais pas que tu en étais, sinon je ne me serais jamais permis." Et il cessa (du moins en ma présence) ses lourdes blagues.

Le même Omar se pointait donc à La Boîte à Frissons avec des copains qu'il avait réussi à convaincre que c'était "sympa" et "qu'ils n'avaient rien à craindre, les mecs ne les feraient pas chier".

J'ai attendu qu'ils soient sagement assis à une table, pour arriver discrètement par derrière, et attraper le cou et les épaules d'Omar le plus tendrement possible. Je l'ai senti se raidir sur son siège, prêt à envisager une réplique cinglante, pas du genre verbale humoristique, mais bien directement physique. En levant la tête il me reconnut et se radoucit illico, vraiment rassuré. Il est presque devenu câlin (là j'exagère un peu). N'empêche qu'ils m'ont tous les quatre fait la bise gentiment.

En fin de nuit, cette bande partageait la piste avec les deux minous adorables qui étaient eux aussi encore là, je m'étais inquiété de la cohabitation de ces deux styles apparemment incompatibles, mais tout se passait très bien.

Après la fermeture, me voyant repartir à pied, Omar a insisté pour me raccompagner : "Si si, on insiste, tu ne vas pas repartir en taxi, on s'occupe de toi, on te ramène au quartier !" Vu leur état (ils avaient quand même pas mal picolé) je n'étais guère rassuré. Mais le plus drôle fut de me retrouver quelques instants plus tard assis par terre dans le fond de leur camionnette ! Omar était visiblement satisfait, car il avait dû pas mal baratiner ses copains pour leur faire accepter l'idée de venir dans une boîte de PD. Et ils étaient tous ravis.


Mercredi 19 mai 1999
Jeunes et vieux

Samedi soir, deux jeunes garçons allaient se présenter à la porte de La Boîte à Frissons, ils arrivaient par la rue Volta d'un pas décidé. C'est alors que surgit un petit groupe de personnes, disons d'un âge certain, composé de quatre ou cinq mamas espagnoles, et d'un petit homme, tout aussi rondouillard et boute-en-train que ses compagnes. Reconnaissant quelques visages parmi eux, et étant donc assuré qu'ils connaissaient bien le lieu, je leur ouvre la porte en leur souhaitant la bienvenue.

C'est alors que je vois les deux tourtereaux de l'autre côté de la rue s'arrêter net, les yeux effarés. J'imaginais assez facilement ce qui pouvait se passer dans leur tête : qu'est ce que c'est c'te boîte ? Je m'efforce donc de leur faire un large sourire en leur montrant l'affiche sur laquelle est écrit en énormes caractères "Bal gay et lesbien". Finalement, timidement, mais pas vraiment rassurés, ils viennent me demander (avec un minois adorable et un accent Québécois à vous donner envie de les croquer tout cru) : on peut savoir de quel genre est vôtre boîte ?

Comment leur expliquer que le groupe qu'ils avaient vu entrer était à la fois peu représentatif de la majorité de la clientèle, mais en même temps très significatif du grand mélange des genres que nous pratiquons ? En guise d'explication, et pour être certain d'être assez persuasif, je leur ai dit que je les invitais, et qu'ils n'auraient donc rien à regretter. Dès le sas de l'entrée franchi, ils ont paru rassurés !

Quelle ne fut pas alors mon plaisir, de les retrouver une demi heure plus tard, justement attablés à la même table que les mamas espagnoles. Non seulement ils avaient fait connaissance, mais tout ce petit monde bigarré s'éclatait sans complexe. Et l'un des jeunes en me souriant me lança : "Vraiment, c'est la soirée passée à Paris dont je me souviendrai toute ma vie !" Et il partait alors attaquer un tango avec l'une des mamas, ravie, elle aussi.

Comme quoi, avant d'entrer dans une boîte, mieux vaut se méfier des préjugés.


Les Mamans à La Boîte à Frissons

Acte 1 : La question de la semaine (Lundi 21 février 2000)
Devinez quelle est la dernière tendance chic des habitués du bal de La Boîte à Frissons ?

Réfléchissez : quelle est la différence entre La Boîte à Frissons et tous les autres lieux gays de la capitale ?
Encore plus évident : quelle personne, à laquelle vous êtes très attaché, pourriez vous accompagner à La Boîte à Frissons, mais certainement pas dans d'autres lieux gays de la capitale ?
Acte 2 : La chronique : Maman à la Boîte à Frissons
(Vendredi 25 février 2000)

J'ai eu beaucoup de plaisir cette semaine à lire vos réponses, toutes spontanées et concordantes : la personne à laquelle vous êtes très attachés, que vous accompagnerez sans problème à La Boîte à Frissons, mais sans doute pas dans les autres lieux gays de la capitale, est votre MAMAN adorée !

Et effectivement, depuis un certain temps, vous êtes nombreux à débarquer avec elle. Et vous êtes adorables, parce qu'à chaque fois, vous avez tous à peu près la même attitude (encore une fois je m'excuse, mais il s'agit essentiellement des messieurs !).

Vous arrivez de bonne heure pour profiter du musette et goûter à l'ambiance si conviviale des débuts de soirée (tous les habitués s'embrassent et se donnent des nouvelles de leur semaine). Vous avez ce soir là un minois charmant. Vous retrouvez une attitude de petit garçon. Vous guettez du regard les copains et copines, heureux de leur présenter votre maman, mais tout de même un peu inquiet de leurs réactions : pourvu qu'il n'y en ait pas un qui fasse une grosse gaffe. Vous êtes fier, cela saute aux yeux, accompagner maman dans votre boîte préférée, c'est presque une bravade, c'est dans tous les cas une marque de votre connivence. Certains copains en sont jaloux, tous ceux qui n'ont pas encore franchi le cap de la sortie du placard, ou qui affrontent un mur d'incompréhension. C'est eux qui se précipitent pour inviter votre mère à danser et la féliciter de sa largesse d'esprit.

Car dans l'histoire, c'est maman qui est la plus heureuse : sa présence est un aboutissement, un des plus beaux cadeaux que vous puissez lui faire, l'inviter à partager cette part de vous même, qui n'a pas toujours été facile à accepter. Et l'ambiance de La Boîte à Frissons se prête bien à ces réunions de famille, elle offre une vision "acceptable" et "saine" de l'homosexualité (avez-vous songé une seule fois à emmener votre mère au Dépôt ?).

Il y a la maman danseuse qui ne quittera pas la piste de danse, passant des bras du fiston, à ceux de l'amant, puis du meilleur ami, ou encore d'un danseur anonyme en mal d'affection maternelle.
La maman confidente, assise à une table, se lance volontiers dans le récit de sa relation avec son fils, et les copains serrés contre elle écoutent avec admiration ou envie.
J'ai perçu un jour une maman coincée (il y en a aussi), vissée sur son siège, observant la salle et les danseurs sans risquer un commentaire, mais visiblement dépassée par les événements.
La maman séductrice vante les qualités de son garçon et redouble de charme pour conquérir les amis de son fils, elle en rajoute ostensiblement et joue à la copine.
La maman qui m'a causé le plus d'embarras avait été volontairement attirée dans un guet-apens. Son fils chéri avait choisi d'effectuer son coming out ce soir là. La pauvre mère, pour accuser le choc s'était mise à boire plus que de raison. L'alcool la rendait très entreprenante et en fin de nuit elle tentait de rendre jaloux son fils en draguant un jeune hétéro égaré là par mégarde, mais pas insensible au charme de cette femme mûre et décidé à tenter l'expérience. J'ai été obligé d'intervenir, pour empêcher un drame familial, raisonner la mère, chasser gentiment l'hétéro défroqué et amadouer le fiston pour qu'il raccompagne maman et l'aide à dessaouler. J'ai beau jouer parfois à la taulière, je veille quand même à conserver à mon établissement sa respectabilité.

Je remarque au passage que je n'ai pas encore vu un seul papa, mais vous allez encore m'accuser de faire de la psychologie à la petite semaine.

Et pour finir, je ne résiste pas au plaisir de conclure avec les paroles succulentes d'une chanson interprétée par Maurice Chevalier :
"Il y a les fils à papa, bons ou mauvais, de ci de là,
moi je l'avoue bien humblement, je suis un fils à maman,
je ne connais qu'une prière, je la fais instinctivement
la prière à ma mère que je reprends constamment."


Provinciaux hétéros sympas
en visite à La Boîte à Frissons (juillet 2000)

Samedi dernier, j'étais posté devant la porte du Tango à l'heure délicate où l'on voit parfois débarquer des visiteurs indésirables. Quoique je ne pratique pas trop la discrimination, j'essaye tout de même de prévenir les embrouilles.

Un groupe de 15 personnes débarque. Des couples "normaux" hétéros, moyenne d'âge entre 40 et 50 ans, et au look "provincial en expédition touristique dans la capitale" (et ne prenez pas cette description pour du mépris).

Je détecte donc le leader du groupe, un moustachu, qui aurait pu à première vue faire penser au stéréotype du Beauf, et je lui explique : depuis trois ans maintenant Le Tango n'est plus la boîte qu'il a connu lorsqu'il était étudiant à Paris mais une boîte très majoritairement gay et lesbienne. Il a l'air franchement embêté, parce que c'est lui qui a eu l'idée d'entraîner la bande là et ils ont réussi à super bien garer les voitures pas loin. Il ajoute : "mais bon, on voudrait pas que notre présence vous gêne". J'apprécie sa délicatesse, qui me surprend : en général quand j'annonce à des hétéros, qui débarquent par hasard, que la boîte est homo, ils réagissent en faisant un bond d'un mètre en arrière comme s'il risquaient d'attraper au vol le virus de notre maladie honteuse, puis, ils empoignent virilement leurs compagnes par les épaules pour les éloigner, le tout, sans ne serait-ce qu'entrouvir la bouche pour m'adresser un mot gentil.

Mon moustachu lui, discute et cherche une solution. A ce moment une femme du groupe me lance : "moi je reviendrai avec mon petit frère, il sera content". Sa copine réagit :
- Ah bon ton frère est homo ?
- Ben oui tu ne le savais pas ?
- Non, mais pourquoi tu ne me l'as jamais dit.
- Tu ne me l'as jamais demandé.

J'hallucinais (comme on dit de nos jours) face à cet outing aussi naturel et spontané. Plus je discutais avec eux, plus je les sentais sympathiques. J'ai fini par leur proposer d'entrer. Je les ai suivis à l'intérieur, je leur ai trouvé une grande table pour les installer confortablement.

Pendant la série de slows, ils étaient mignons, ces couples inhabituels pour La Boîte à Frissons, tendrement enlacés et naturellement mêlés aux autres. Et lorsqu'ils sont partis, j'ai eu droit à une douzaine de poignées de mains fermes et chaleureuses et quelques bisous des dames (notamment de la soeur qui, c'est promis, reviendra avec son petit frère).

Franchement, cette fois, j'étais vraiment heureux d'avoir surmonté le stade des préjugés rapides. Je me demande si parfois, nous n'entretenons pas l'homophobie en sous estimant nos amis hétéros !


Le samedi soir des jeunes lycéens
(Mercredi 27 octobre 2000)

Je vois arriver samedi soir de bonne heure, tout un groupe de jeunes. Vraiment jeunes (ils ont juré qu'ils avaient tous 18 ans !). Visiblement un couple de jeunes garçons entraînait dans une boîte gay des copains et copines de lycée. Je les observe s'installer, un peu inquiet par les réactions gênées de la majorité du groupe : un garçon très mignon craignait le pire et se calait ostensiblement contre sa copine, des fois qu'on croirait que...

Bien entendu, le musette les laissait de marbre et leur permettait de rester scotchés sur leurs banquettes. Ils étaient tentés de ricaner. Je suis donc allé engager la conversation, histoire de voir de plus près à qui nous avions à faire.

En me voyant arriver, le plus effronté du groupe m'interpelle :
- Vous êtes le responsable ?
- Oui mes chéris (sourires forcés).
- Euh, y'a des jeunes comme nous des fois dans votre boîte ?
- En général non, normalement nous n'acceptons pas les mineurs (vexés).
- Ah non, on vous promet on a tous 18 ans.
- Alors qu'est ce que vous avez contre les vieux, comme vous dites (mis en faute).
- Rien, mais bon, votre musique, c'est pas spécialement notre truc. Vous ne passez que ça ?

Je me suis un peu mis en colère et j'ai joué au Vieux paternaliste, leur expliquant qu'à leur âge ils pouvaient encore avoir un peu d'ouverture d'esprit, qu'ils pouvaient se laisser surprendre, observer la différence, se lâcher, savoir s'amuser, etc. Ils n'ont pas spécialement apprécié ma leçon de morale, et j'aggravais sérieusement mon cas. J'ai donc abrégé la conversation, en leur expliquant sur un ton badin, qu'à choisir entre des vieux souriants et des jeunes cons, je n'hésiterais pas un instant.

Finalement, ils sont restés une bonne partie de la nuit et se sont bien amusés. Rétrospectivement ma colère me semble facile et inutile. J'ai manqué de sang froid. Mea culpa.

Plus tard dans la nuit, je me suis approché d'un autre couple de deux jeunes garçons (je connais de vue l'un d'eux). Ils essayaient de danser une valse et je leur ai proposé de les inviter au cycle d'initiation aux danses à deux. L'un m'a répondu qu'il quittait son travail trop tard, et l'autre ne pouvait pas parce qu'il est encore au lycée et habite en grande banlieue. Pour les consoler je leur ai offert une consommation et ils m'ont remercié très gentiment avec un très respectueux : "merci Monsieur". Quand j'étais prof, les élèves m'appelaient Monsieur. A la boîte c'est la première fois que l'on me répond ainsi.

En fin de nuit, les deux tourtereaux, assis face à face, séparés par une table et deux verres de jus d'orange, s'embrassaient tendrement en se caressant doucement la nuque et les épaules. J'ai compris qu'ils attendaient la fermeture et qu'habitant chez leurs parents respectifs, ils n'avaient nul lit douillet à rejoindre.

Je n'ai pas osé leur proposer ma chambre d'amis, cela aurait pu leur sembler déplacé. Damien a consolé mon émotion en ayant le mot de la fin : "après tout, c'est aussi de leur âge !".


à suivre...